Vivre le froid, c’est une expérience forte ! Presque irréelle ! En Laponie, la température la plus froide que j’ai pu expérimenter, lors de notre voyage à vélo jusqu’au Cap Nord, était -42 degrés. Le souvenir qui était resté dans ma mémoire était déjà quelque chose de très fort ! Tout était figé. Absolument immobile. J’avais l’impression que nous étions des intrus à venir déranger cette absolue quiétude. Notre souffle seul changeait les choses dans cet environnement magique. Indéniablement, le froid oblige à la discrétion ; à l’humilité. On parle doucement. On s’excuse presque de respirer. On ne veut pas déranger l’ordre établi par Dame Nature. Elle accepte la présence de l’être humain, mais uniquement celui qui l’aime et la respecte , mais uniquement dans un calme absolu. Dans le grand froid, la nature n’aime ni le bruit, ni l’orgueil.
A Oymyakon, j’ai fait un petit pas de plus dans la connaissance du froid. Quoique… le mot «connaissance » est certainement inaproprié dans ce contexte. Je n’ai passé qu’une semaine autour de -50 degrés. C’est beaucoup trop peu pour prétendre connaître quoi que ce soit de la situation. Néanmoins… Je suis heureuse d’avoir fait ce petit pas de plus vers Dame Nature. Elle n’a pas été tendre. Pas du tout ! Mais qu’est-ce qu’elle est belle ! J’ai senti une vraie barrière à -47 degrés. Lorsqu’on passe en dessous, les choses ne sont plus pareilles. On change de monde ! Peut-être se sent-elle elle-même mise en danger par la présence de l’être humain ? Quoi qu’il en soit, j’ai réellement senti une véritable mise à l’épreuve de sa part ! Après Khandyga, j’ai vite compris qu’elle ne souhaitait pas forcément ma présence. Elle a sorti ses griffes. Au sens propre.

Au-delà de -47 degrés, si vous daignez sortir vous confronter à elle, Dame Nature se défend ! Elle a certainement raison ! Il lui faut jauger , savoir à qui elle a à faire ! Elle sert ses griffes autour de vous ! Plus la température baisse, plus la pression de ses griffes se fait forte. Ca fait presque mal physiquement. Le souffle est coupé. C’est peut-être pas plus mal. Ca évite de se geler les poumons. Pas la peine d’essayer de parler ou même de sourire. Mon visage tout entier est figé ! Décidément, Dame Nature impose ses conditions ! Si on ne fait pas d’erreur d’équipement. Si on reste parfaitement calme. Si on lui sourit avec respect et bienveillance. Si on ne se plaint pas de son sort, du froid, de la nature, ou de la situation en général.
Alors seulement, la nature nous donne sa confiance et nous offre ce qu’elle a de plus beau , de plus extraordinaire dans son catalogue. Quelle ambiance ! Quelles lumières ! Plus jamais je n’publierai le spectacle de cette nature aussi époustouflante de beauté, bercée par cette lumière de fin du monde ; qu’abisolument immobile ! Elle m’a marquée au fer rouge ! Ici, les gens ne comprenaient pas mon émotion. Ni mon envie d’être le plus souvent possible dehors , en contact direct avec cette grande Dame. Ici, la réalité prend le pas sur la poésie. Sur la magie peut-être ? Ici, quand la température descend dehors, elle monte dedans. Certainement jusqu’à + 45 ! De quoi se sentir presque mal… Mais ici, c’est comme ça ! Quand il fait froid, on ne sort pas, ou très peu… et on mange ! Pour emmagasiner des calories ! La Babouchka qui m’a reçue à Tomtor est allée jusqu’à me réveiller à 23h30 pour que je me mette à table avec eux ! Moi qui pensais que le dîner avait déjà été servi à 19h00. Ce n’était qu’un leurre… un petit amuse-bouche ! Elle m’a aussi empêché de sortir dans la journée. « Trop froid », trop dangereux ». Impossible de sortir faire un pas toute seule ! Mes anges gardiens veillaient à mon bien être ! A force d’insister ; de leur prouver que j’étais suffisamment équipée, j’ai fini par gagner un peu de liberté !
J’ai pu toucher du doigt mon rêve ! La nature m’a offert son plus beau spectacle ! Et j’en suis heureuse !