Voyager à vélo, dans des environnements plus grands que soi, est un apprentissage quotidien de lâcher-prise. Il semblerait que Push Bush n’échappe pas à cette logique. Avant même de prendre le départ à Swakopmund, un torrent d’émotions contradictoires est venu me submerger. Des émotions dont je n’ai pas su tout de suite quoi faire ; où les mettre, comment les transformer.
Alors que Gulliver perdait son « papa », le jour-même du départ officiel de Push-Bush, je retrouvais pour ma part, un potentiel frère que je recherche depuis maintenant 25 ans. Finalement, après tant d’années d’espoirs déçus et de recherches généalogiques infructueuses, il a fait irruption sur mon Whatsapp et dans ma vie, de façon impromptue, alors que j’étais jusque-là totalement absorbée par un prochain départ important ; celui de Gulliver pour son périple namibien.
Mais, comment rester concentrée et investie dans le projet Push Bush, alors que des événements extérieurs viennent tout chambouler d’un instant à l’autre ? Comment digérer une telle tristesse, associée du même coup à une telle déferlante de bonheur intense ? Comment les faire cohabiter et les mettre au service de Push Bush ? Je dois avouer que pendant 24 heures, j’ai senti le sol vaciller sous mes pieds, et mes certitudes prendre l’eau. Devais-je réellement partir, ou n’était-ce pas mieux de mettre directement le cap sur la Colombie, pour pouvoir enfin renouer avec mon passé, avec mon histoire ? De toutes façons, Yann Thomas, subitement emporté par une crise cardiaque, cadreur génial, passionné, enthousiaste et intransigeant, laisse Gulliver orphelin de son papa.
Qui, à part moi maintenant pour veiller sur cette machine, à laquelle je me suis attachée aussi promptement qu’infiniment ? A quoi bon lui imposer une aventure aussi exigeante, alors que personne ne veillait sur lui aussi bien que Yann ?
Le cerveau en fusion et les émotions à fleur de peau, c’est finalement sur Gulliver et au milieu du désert du Namib, que les choses se sont peu à peu apaisées pour moi.
C’est évidemment en menant Push Bush à son terme, en faisant voyager Gulliver à la hauteur de l’investissement de Yann, que je pourrai au mieux lui rendre hommage. Il a construit ce qu’il appelait affectueusement cette « machine infernale » qui me permet aujourd’hui l’autonomie sur terrain exigeant. A nous de lui montrer, aujourd’hui, que nous sommes tous les deux à la hauteur de son travail, de son savoir-faire, de son savoir-être et de son savoir-penser. A nous de faire de notre mieux pour mener Push Bush à son terme.
Et mon « frère » dans tout ça ?
Nous avons convenu de nous attendre encore quelques mois. Le contact est établi. Il ne se perdra plus. C’est une promesse.
Mais, avant de me précipiter sur les traces de mes origines, l’Afrique m’ouvre grand ses portes pour que je puisse explorer la terre de mes ancêtres. Le sentiment d’appartenance que je ressens ici, au contact des gens ; au contact de la terre est bien réel. Il est temps pour moi, d’aller explorer ce sentiment, grâce à l’aide bienveillante du désert.
Si la dernière semaine, passée au cœur du désert du Namib, m’a appris quelque chose, c’est que tout prend du temps. Les kilomètres défilent lentement, à la vitesse de 8 km/h. Les distances sont immenses ; l’horizon lointain. Le sentiment de solitude, dans cet environnement, cohabite assez naturellement avec un sentiment de plénitude. N’est-ce pas exactement-là ce que je ressens quant-au départ précipité de Yann et à l’apparition tout aussi précipitée de mon « frère »dans ma vie ?
Mais, à 8 km/h, la précipitation est mauvaise conseillère. Il faut prendre le temps d’accepter les diverses émotions qui surgissent, de les laisser infuser, de les laisser s’incarner.
C’est là, tout l’effet que le désert a sur moi. Petit à petit, il me marque au fer rouge. Au fur et à mesure, je l’ai dans la peau. J’apprends à son contact.
Dépassée la sidération et le chamboulement, j’accepte la présence de mon « frère » dans ma vie, ainsi que l’absence de Yann.
Je n’ai parcouru qu’environ 550 kilomètres sur les pistes namibiennes, et déjà j’apprends une multitude de choses au contact du désert.
J’en avais l’intuition ; j’en ai aujourd’hui la certitude : Push Bush ne sera pas anodin dans mon parcours. Il y a quelque chose de fondateur dans cette itinérance.
Merci !
Olivia
Pour celles et ceux qui aiment déplier les cartes, après avoir fait 250 km entre Windhoek et Swakopmund, nous sommes partis samedi 20 en direction de Walvys Bay (le port marchand de la Namibie), avant d'entrer dans le désert du Namib. Cette longue bande de sable s'étire de l'Angola au nord, jusqu'au sud du pays. Nous l'avons traversée d'ouest en est par la piste, une ligne droite de près de 120 km. L'air est très sec et il fait très chaud entre 10h00 et 16h00, ce qui nous oblige à rouler pour se ventiler un peu. Mais c'est vrai qu'à 8 km/h de moyenne, le vent ne souffle pas très fort ! Ensuite on traverse deux rivières (sèches). On tombe au fond d'un trou par une pente abrupte et on remonte de l'autre côté avec des pourcentages allant de 10 à 14% (calculés avec le GPS). Puis changement de paysage. On est au pied des montagnes, il y a un peu plus de relief et beaucoup plus de couleurs. Les pluies récentes (on a même pris une averse sur la tête dans cet environnement aride) ont fait sortir quelques brins d'herbe qui font le bonheur des oryx, ces antilopes qui vivent en nombre ici. C'est ainsi qu'on est arrivés à Solitaire, une oasis au nom évocateur en plein coeur du désert, où se croisent touristes et baroudeurs car tout le monde s'y arrête. Même s'il y a très peu de touristes cette année, on y a fait la rencontre d'un motard sud-africain parti changer de vie sur sa BMW, sans véritablement savoir sur quel continent il s'en irait promener ses rêves après la traversée de l'Afrique.
On totalise ce soir 528 km. On repart demain matin en direction de Sesriem, puis on continuera vers le sud.
A très bientôt
Yves
